Aujourd’hui, j’ai eu envie de me partager une façon de fonctionner que j’adopte depuis quelque temps au cabinet, d’abord auprès du public avec TSA, et que j’ai généralisée avec tous types de patient.e.s. J’en profite pour faire quelques rappels théoriques, pour vous retracer les fondements de l’ABA et de la façon d’aborder les économies de jetons.
Petite histoire de l’ABA :
L’ABA (Applied Behavior Analysis) est l’analyse appliquée des comportements, issue des théories comportementalistes développées dès le début du 20e siècle par les psychologues américains Edward Thorndike, John B. Watson, et Burrhus Skinner.
Le premier (E. Thorndike, 1874-1949) a mis en évidence la loi de l’effet (tout comportement suivi d’une récompense sera associé à la situation qui l’a déclenché) et le concept de renforcement (punition ou récompense), qui s’appuie sur le fait que la probabilité qu’un comportement a plus de probabilité de se reproduire si ses conséquences sont agréables pour le sujet.
A la même période, John B. Watson (1878-1958), pose les fondements du comportementalisme, fondateur du mouvement behavioriste, méthode consistant à observer les comportements de la manière la plus objective possible, mettant ainsi de côté les états émotionnels et internes des sujets. Il est notamment connu pour son expérience baptisée « Albert et le rat » (comment faire apparaître une phobie ?), controversée pour son manque d’éthique. Il est persuadé que le conditionnement peut avoir des conséquences importantes sur le développement des enfants, quelles que soient leurs origines sociales, ou leurs prédispositions génétiques.
Enfin, c’est Burrhus Skinner (1904-1990), s’appuyant sur les travaux des deux précédents chercheurs, qui développe la théorie du conditionnement opérant, et son schéma en 3 étapes : ABC (Antecedent/Behavior/Consequence), considérant 3 aspects pour l’analyse d’un comportement : l’environnement dans lequel le comportement apparaît, le comportement lui-même, et ses conséquences renforçantes. En 1957, il publie « Verbal Behavior » dans lequel il applique les principes du conditionnement opérant au développement de la communication (ABA-VB).
D’un point de vue clinique :
Les méthodes utilisant les principes de l’ABA sont recommandées pour la prise en charge des patient.e.s avec TSA (Troubles du Spectre de l’Autisme), après de nombreuses recherches dans ce sens.
Les TCC se basent également sur certains de ses principes.
Au cabinet, nous pouvons également utiliser au quotidien certains aspects de cette approche :
– L’analyse des comportements : les facteurs de déclenchement d’un comportement (par exemple certains troubles du comportement en séance, certaines erreurs commises par le patient…), ainsi que les facteurs de maintien de ce comportement (ce qui fait que la personne conserve ce comportement), ou encore les facteurs d’extinction (ce qui fonctionne pour le faire disparaître).
– Le renforcement positif : en effet, le renforcement (conséquence au comportement qui a pour but d’augmenter la probabilité que celui-ci se reproduise) peut être positif (ajout d’un stimulus) ou négatif (suppression d’un stimulus). Le principe au cabinet sera d’aider l’enfant à intégrer la relation causale entre son comportement et sa conséquence, afin de progresser et renforcer l’estime de soi. En renforçant les comportements attendus et en ignorant ceux qui ne sont pas désirés, les objectifs peuvent devenir plus explicites et le cadre plus sécurisant.
Les renforçateurs :
On distingue différents types de renforçateurs :
- Les renforçateurs primaires : ils sont inconditionnés, innés. Ils sont liés à des besoins primaires, comme l’alimentation ou la boisson. Ils sont moins efficaces pour les apprentissages que les renforçateurs secondaires car trop liés à l’état actuel de la personne (si l’on donne du gâteau, cela aura une conséquence positive si la personne a faim ou est vraiment gourmande, mais si ce n’est pas le cas, cela risque de ne pas fonctionner) ;
- Les renforçateurs secondaires : ils sont conditionnés, acquis. Ils sont propres à chaque individu, selon ses intérêts, ses goûts… Ils sont très efficaces pour les apprentissages. On peut les classer en plusieurs catégories :
– Les renforçateurs sociaux : ce sont les commentaires positifs de l’entourage, comme les félicitations, les encouragements, les sourires, les câlins… Ils sont très naturels, puisque utilisés par tout le monde, de façon spontanée. Au cabinet, nous les utilisons très souvent sans nous en rendre compte. Il est important d’avoir conscience des moments où nous les utilisons pour bien cibler les comportements que nous souhaitons voir se reproduire et ceux que nous aimerions voir disparaître. Je trouve également très intéressant de « former » les parents à l’utilisation de ces renforçateurs qui permettent d’avoir un regard plus positif sur l’enfant. Attention toutefois : un renforçateur social ne doit pas être un jugement sur la personne.
– Les activités renforçantes : ce sont des activités que la personne aime le plus, qu’elle est capable de recommencer souvent. Dans nos bureaux, il est important de faire un « inventaire des renforçateurs », auprès de nos patient.e.s pour connaître les activités que nous pourrons leur proposer en association avec des activités moins plaisantes (oh non, pas encore de l’écriture…..). Vous connaissez les « jeux carottes » ? On intègre une tâche non plaisante dans un jeu très plaisant pour l’enfant, ou on alterne les deux : ça fonctionne super bien, tout le monde est motivé !
– Les renforçateurs intermédiaires : ce sont des renforçateurs qui peuvent être échangés contre d’autres renforçateurs. Ils représentent une certaine valeur, comme par exemple les bons points, la monnaie, ou encore les points sur une carte de fidélité! Ils ont l’avantage de pouvoir être mis de côté pour être utilisés plus tard. La personne qui les reçoit doit être capable de comprendre le système d’économie, c’est-à-dire capable de patienter jusqu’à en obtenir un certain nombre pour ainsi les échanger contre un autre renforçateur, prévu à l’avance, ou non. C’est le cas notamment des économies de jetons.
Les économies de jetons :
Les économies de jetons se présentent sous la forme de plaquettes avec des emplacements libres à compléter par des jetons, souvent accrochés par des velcros. Elles peuvent être neutres ou personnalisées en fonction des intérêts des patient.e.s. Elles sont très faciles à utiliser en séance d’orthophonie et très utiles pour faire passer un travail assez formel et non plaisant pour les enfants.
Utilisation en 5 étapes :
– Sélectionner les comportements cibles : pas plus de 3 simultanément, les objectifs doivent être facilement atteignables, observables, énoncés de façon claire et positive. Par exemple : produire sans aide l’accord de l’adjectif dans des phrases inventées. Les règles doivent être constantes et cohérentes en fonction du niveau de l’enfant.
– Déterminer la temporalité : est-ce que la plaquette devra être remplie sur une séance ? Sur une partie de séance ? Sur une durée plus étendue (plusieurs semaines pour généraliser un comportement) ?
– Choisir les renforçateurs pour le moment où la plaquette sera complète : attention, il faut qu’ils aient vraiment du sens pour l’enfant (référez-vous à l’inventaire des renforçateurs réalisé). Si par exemple le jeu choisi par l’enfant ne correspond pas à vos objectifs de travail, ce n’est pas grave, l’essentiel est que ce soit positif pour lui pour qu’il l’associe à la tâche moins plaisante ! A vous en revanche de décider de l’ampleur du renforçateur, selon l’effort demandé à l’enfant : cela peut être une bille dans le toboggan à billes, comme une partie complète d’un jeu de société, ou encore le droit de choisir un jeu pour les 3 prochaines séances.
– La complétion de la plaquette : C’est toujours l’adulte qui complète la plaquette, ou au moins qui donne le feu vert (« tu peux mettre un jeton », « tu choisis quel jeton ? »). Il doit en effet garder le contrôle. En revanche, il est tout à fait possible de demander son avis à l’enfant, ce qui stimule sa métacognition : « à ton avis, est-ce qu’on peut mettre un jeton ? » (par exemple en articulation, ou en langage oral). Attention : on n’enlève jamais un jeton de la plaquette!
– L’obtention du renforçateur : elle est immédiate après la complétion de la plaquette de jetons, et devra toujours être associée à la valorisation, au renforcement social de l’adulte. Cela permettra de progressivement diminuer puis supprimer le renforçateur intermédiaire mais de conserver le renfo le plus naturel.
Quels sont les bénéfices des économies de jetons ?
– Une amélioration de l’autonomie de l’enfant : en incluant dans les cibles des critères comme « faire tout.e seul.e », « penser à », « sans aide », incitera l’orthophoniste à s’effacer, et l’enfant à mobiliser les stratégies pratiquées en amont pour réaliser les tâches en autonomie. Il est tout à fait possible de lui proposer un étayage visuel (carte mentale, arbre décisionnel, pictogramme…). Le simple fait qu’il s’y réfère seul lui permet de se détacher de l’adulte, et c’est ce vers quoi nous tendons dans toutes nos prises en soin.
– Une amélioration du sentiment de compétence chez l’enfant : les cibles étant toujours formulées de façon positives, et l’enfant ne pouvant perdre de jetons, il ne peut que progresser. D’autre part, il ou elle a une meilleure connaissance des objectifs, des compétences travaillées et peut avoir une vision plus claire de ses progrès.
– Un regard plus positif et bienveillant chez l’adulte : Comme l’enfant, nous nous entraînerons à visualiser les progrès et non plus les manques, ainsi qu’à formuler des objectifs de façon positive. Notre regard peut tout à fait changer de point de vue!
– Une invitation à séquencer davantage les apprentissages : en posant de petits objectifs atteignables facilement, nous apprenons à séquencer de mieux en mieux les apprentissages, en procédant par étapes, et en identifiant les étayages utilisés.
– Une aide pour la gestion des comportements défis : Grâce au renforcement positif, nous pouvons inverser la vapeur lorsque des comportements indésirables s’invitent en séance. Nous mettrons ainsi l’accent sur ce que l’enfant fait de positif en le renforçant, même si au départ, ce sont des progrès très minimes.
Les économies de jetons ne sont pas utilisables pour toutes les prises en soin ni avec tous les patients, notamment ceux pour lesquels nous avons des objectifs plus globaux, mais je les utilise de plus en plus au cabinet avec des enfants qui sont peu motivés ou anxieux par rapport à leurs difficultés, ou encore ceux qui ont tendance à vouloir tout maîtriser.
Comment les fabriquer ?
C’est très simple : il vous faut une planche de base (imprimée ou non, plastifiée ou en papier rigide, assez solide), pour les jetons vous pouvez utiliser une perforatrice ronde ou de toute autre forme, ou simplement les découper à la main et les plastifier ou non. Il vous faudra également des pastilles de velcros adhésives. Si vous n’en trouvez pas, vous pouvez utiliser des bandes de velcros adhésives que vous découperez ensuite (on en trouve au rayon rideaux des magasins de bricolage notamment).
Si vous avez la flemme et que vous aimez mon univers, vous pouvez vous en procurer sur ma boutique ici.
Et vous, utilisez-vous cette approche ? De quelle façon ?